Les Saintes-Maries-de-la-Mer
Un texte du père Pierre CAUSSE
extrait de "La roulotte"N° 149 avril 1999
revue de l'aumônerie nationale
Les Saintes! comme l'on dit là-bas, autour du delta du Rhône. Mot chargé de poésie et de prière!
Tout plein de lumière de ces paysages de Camargue qui l'entourent, où l'on ne sait plus très bien, par moment, où finit la terre, où commence la mer...
En ce nom s'inscrit d'emblée le site de ce village aux maisons basses et blanches éparpillées naguère entre les saladelles et les sables... L'église le domine de ses créneaux et de ses mâchicoulis, de son toit pareil à une plage d'envol, enfin de son clocher dont le trident se découpe dans le ciel. Le marais, le sable et la mer cernent cette paroisse isolée que seule la route relie aux terres fermes.
L'église à elle seule mérite le voyage. Nef de pierres, carène d'or, vaisseau mystique, forteresse marine de la foi et autres comparaisons nautiques que se transmettent guides et brochures, sont autant de litanies banales à force de répétition. Il reste que l'église des Saintes réunit et résume les perfections de style de ces églises du XII° siècle, chaîne des sanctuaires côtiers du Languedoc dont Agde et Frontignan, Vic et Maguelone, forment les émouvants maillons. Mais ici, l'intelligence du plan s'impose avec une telle facilité, la conception des bâtisseurs se révèle si audacieuse, qu'on éprouve à cette vision un des plus satisfaisants plaisirs de l'esprit.
Si ce sanctuaire n'avait à nous offrir que des satisfactions esthétiques, nous pourrions déjà nous déclarer comblés. Mais la forme n'est qu'un accessoire souvent trompeur et jamais mieux qu'aux Saintes Maries ne s'est affirmée la primauté du spirituel.
Tendresse exprimée par ces ex-votos accrochés aux murs: primitifs populaires qui chantent en couleurs vives les miracles de Marie-Jacobé et de Marie-Salomé.
L'impression dominante est d'intelligence, de grandeur et de foi. Le caractère défensif passe au second plan malgré la dentelure des créneaux, la cour octogonale et l'étroitesse des ouvertures.
En ce bout de terre, tout converge vers ce monument mystique, témoin de la foi ancestrale apportée par les saintes femmes, disciples de Jésus. De ce haut lieu de prière est partie à travers le temps et l'espace, la Bonne Nouvelle révélée par le Christ pour le salut des hommes et la transformation du monde. Tels sont  la raison et le sens qui rayonnent de ce sanctuaire drainant depuis des siècles,
des milliers de pélerins.
La publicité faite au PELERINAGE des Saintes-Maries-de-la-Mer par les hebdomadaires illustrés, la littérature, le cinéma, les organisations touristiques et les médias en général, attire en ce coin jasdis perdu, les 24 et 25 mai de chaque année, des foules innombrables de curieux et des milliers de pélerins.
     C'est un vrai raz-de-marée qui déferle sur la bourgade, submerge la plage, inonde les places et les rues et vient battre contre les murs de l'église.
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Parmi ces pélerins s'impose depuis des décennies, la présence remuante des GITANS. Romanciers, poètes, historiens, essayistes, ne se sont pas privés de proposer des raisons à cette étrange assiduité. Plus l'ignorance est grande, plus fertile est l'imagination. Tout ce qu'on ignore devient mystérieux. Comme on ne sait rien ou presque sur les Gitans parce qu'ils ne sont pas des gens comme tout le monde, on ne peut parler d'eux qu'en les auréolant d'énigmes. Alors est évoqué le mystère de cette race qui semble trouver le secret de ses obscures origines lors de son rassemblement aux Saintes Maries. Une sorte d'accord paraît être établi entre le Gitan et le pays Camarguais. Tient-il cet accord, à ce fait qu'ici l'espace est libre, les limites de la propriété individuelle à peine marquée, au point que la lande et la plage paraissent des biens communautaires; tient-il à ce que les "bohémiens" étaient et restent encore en
de nombreux pays des hommes de chevaux?
     Cet accord résulte-il du culte séculaire qu'ils semblent avoir voué à Sara la Noire? Quoiqu'il en soit, leur présence ici s'harmonise avec le paysage d'une façon si parfaite qu'ils contribuent par leur propre mystère au mystère de cette terre; ils sont devenus un des éléments de cette atmosphère
extraordinaire qu'on ne respire qu'en Camargue.
     Cependant, la question demeure: depuis quand les GITANS viennent-ils là? Devant la difficulté à apporter une réponse précise, on préfère rester dans le vague: "depuis un temps immémorial"! Une façon d'avouer son ignorance quant à la date à laquelle ils ont commencé à fréquenter le sanctuaire.
     Grâce au travail des historiens, il est possible de localiser  le départ de leurs migrations entre les rives de l'Indus et les confins de l'Afghanistant autour du X° siècle. Au XV° siècle, ils abordent l'Europe. En 1419, la première troupe atteint la France. Le 22 août, elle se présente devant la petite ville de Châtillon-sur-Chalaronne où elle reçoit un accueil généreux. Les archives de la ville d'Arles gardent la trace de leur passage dans la cité en avril 1438. Ce qui les situe à dix lieues des Saintes Maries de la Mer, dix ans avant la découverte des reliques des saintes et de celles de Sara.
     Il est probable que dès  le XV° siècle, certains groupes de tsiganes se rendaient aux célèbres foires de Beaucaire pour leur commerce. On peut supposer qu'ils faisaient route jusqu'en Camargue à l'occasion des pélerinages. Mais de ces visites, il ne subsiste aucune trace. Le fait est d'autant plus insolite que leur présence est mentionnée, vers la même époque, en d'autres lieux de dévotion: au Mont Saint Michel, à Notre Dame des Ardilliers près de Saumur, sans parler des sanctuaires par eux fréquentés en Italie et en Espagne. Comment croire qu'aux Saintes Maries, leur venue n'ait pas attiré l'attention?
Le premier témoignage écrit que nous possédions sur leur participation à ces festivités est de Frédéric Mistral. Racontant sa visite en Camargue en 1855, il écrit: "L'église était bondée de gens du Languedoc, de femmes du pays d'Arles, d'infirmes, de bohémiens, tous les uns sur les autres. Ce sont d'ailleurs les bohémiens qui font brûler les plus gros cierges, mais exclusivement à l'autel de Sara qui, d'après leur croyance, serait de leur nation". (Mémoire et Récits 1906)
    Le "journal" soigneusement tenu à jour par les curés des Saintes de 1861 à 1939, et conservé au presbytère ne nous est pas d'un plus grand secours. Les mentions faites de leur présence à ces fêtes insiste plutôt sur l'aspect étrange, déroutant ou les manifestations exubérantes et quelque peu encombrantes de leur dévotion. Aux alentours de 1900, un curé de la paroisse se demande ce que les Gitans venaient faire au pèlerinage de mai et quelles raisons - sans doute peu avouables - les mêlaient aux pèlerins de la région.

Un peu plus tard, un autre curé mieux informé leur consacre toute une page de ce journal.
"Les bohémiens sont déjà arrivés. Usant d'un droit très ancien qu'on leur a laissé d'occuper, sous le choeur de l'église, la crypte de Sainte Sara, leur patronne légendaire, ils sont là accroupis au pied de l'autel, têtes crépues, lèvres ardentes, maniant des chapelets, couvrant de leurs baisers la châsse de leur sainte, et suant à grosses gouttes au milieu de centaines de cierges qu'ils allument.
"Jour et nuit, ils chantent des cantiques et marmonent des prières que personne ne comprend, dans un langage qui n'a pas plus de nom que d'histoire... C'est un spectacle unique que leur présence à ces fêtes. Elle donne au pèlerinage un caractère d'originalité qui ne manque pas de pittoresque et de grandeur. Cependant, malgré leur zèle excessif, leur démonstration enthousiaste, leur abandon diligent, on ne peut s'empêcher de se demander s'ils sont véritablement chrétiens et si c'est bien l'amour
des Saintes Maries qui inspire leur conduite.
"Pour une certaine catégorie, on serait tenté d'en douter quand on observe leur tenue indifférente et fière pendant les cérémonies religieuses qui s'accomplissent dans l'église haute. Tout incline à croire qu'ils ne font aune attention aux offices et ne prennent aucune part au culte traditionnel. Ils semblent consacrer toute leur dévotion à l'autel de leur sainte privilégiée. Au moment des acclamations aux Saintes Maries, la plupart restent muets ou s'obstinent à répondre par le cri unique de "Vive sainte Sara!"
"Nombreux sont cependant ceux qui sont attachés à la religion catholique. En quelque pays qu'ils se trouvent, ils font baptiser leurs enfants et ne manquent pas d'appeler un prêtre pour leurs malades. Pendant les fêtes des Saintes Maries, leur attitude est des plus respectueuses. Les longues heures qu'ils passent à la crypte, la vénération qu'ils ont pour les saintes châsses, l'empressement qu'ils mettent à porter, toucher, baiser, faire baiser à leurs enfants, à la procession, la barque qui contient les statues des Saintes, se disputent les fleurs qui la parent, témoignent de leurs sentiments chrétiens. Pour être quelquesfois bruyante et exagérée, leur dévotion ne dénote pas moins chez eux un certain esprit de foi et de confiance qui les honore et fait plaisir à voir."
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Ces observations sont étonnament proches de celles que l'on peut faire encore aujourd'hui.
Le même cahier nous donne quelques indications intéressantes sur le nombre de Gitans qui fréquentaient le plerinage avant la généralisation des caravanes et des voitures automobiles. Jusqu'à la dernière guerre mondiale, sur un total de dix à vingt mille pèlerins, ils étaient un bon millier avec une centaine de roulottes. La proportion est aujourd'hui inversée puisque l'on compte de sept à dix mille Gitans pour quatre à cinq mille pèlerins venus des départements voisins.
En effet, ce qui constituait autrefois le grand rassemblement des chrétiens de Provence et du Bas-Languedoc est devenu depuis les années cinquante, à cause du changement des modes de vie dans la société, grâce surtout à l'action de l'Aumônerie Catholique des Gitans et à la facilité des transports, le "Pèlerinage Gitan".
     La centaine de roulottes barriolées qui stationnaient alors en plein centre du village, sur le terrain vague devenu la "place des Gitans", et autour des arènes, a laissé la place au millier de caravanes réparties à la périphérie de la cité, sur des terrains de stationnement toujours débordés ou insuffisamment aménagés.
     De plus, les mass-média aidant, la foule des pèlerins est aujourd'hui submergée par le flot sans cesse croissant des touristes qui viennent profiter du "spectacle" du pèlerinage.
     Bien longtemps avant que les roulottes bohémiennes ne se pressent sur la route sinueuse qui, depuis le pays d'Arles conduit aux "Notres-Dames-de-la-Mer" (comme on disait jadis), des foules s'étaient succédées à travers les marécages. Notamment, les "Jacquaires" en route vers Compostelle et le tombeau de Saint Jacques. Surtout après la découverte consécutive aux fouilles oedonnées par le roi René d'Anjou, comte de Provence, des RELIQUES DES SAINTES FEMMES, sous le choeur de l'église, en 1448.
     Quelles étaient ces reliques qui justifiaient un si périlleux détour? C'étaient celles de deux personnages évangéliques, témoins de la Résurrection du Christ: Marie-Jacobé, la "soeur" de la Vierge et Marie-Salomé, la propre mère de Saint Jacques de Compostelle.
     De la parenté de Jésus, nous ne savons rien de précis. Les quatre évangélistes parlent de Jacobé et de Salomé comme des "soeurs" de la Vierge Marie; mais le mot araméen "aha" signifiait à la fois frère, demi-frère et cousin. Ce que l'on peut tenir pour certain, c'est que l'une et l'autre étaient proches parentes de la sainte famille de Nazareth, donc de Jésus. En revanche, leur descendance nous est parfaitement connue.
Marie-Jacobé, épouse de Cléophas, un cultivateur de Nazareth, eut de lui quatre fils, tous étroitement liés aux débuts du Christianisme
* Jacques le Mineur fut le camarade d'enfance de Jésus à Nazareth.
   La tradition fait de lui le premier évêque de Jérusalem.
* Joseph, dit aussi Barsabas le Juste
* Judes, ou Thadée, apôtre qui mourut martyrisé
* Simon, dit le Zélote, succéda à son frère Jacques le mineur sur le siège de Jérusalem,
   et mourut, lui aussi, martyrisé

Marie-Salomé épousa Zébédé, pêcheur du lac de Génézareth, dont elle eut deux fils qui furent les confidents les plus intimes de Jésus:
* Jacques la Majeur que l'on voit avec le Christ au Jardin des Oliviers. Il périt décapité
   sous Hérode Agro=ippa en l'an 42. Son tombeau est à l'origine du pèlerinage de Saint
   Jacques de Compostelle
* Jean, le "disciple bien aimé", prêcha l'Evangile en Asie Mineure. Arrêté, supplicié, il est exilé à Pathmos où il écrit l'Apocalypse. Il rédige l'Evangile qui porte son nom et meurt, âgé de plus de 90 ans, vers l'an 100.
     Quand Jésus commença sa prédication en Galilée, Mari-Jacobé et Marie-Salomé se mettent à sa suite. Désormais, c'est dans l'Evangile que va s'écrire l'histoire des deux Maries.
     La longue route qu'elles parcourent aux côtés de Jésus s'achève bien au-delà du Vendredi-Saint. Judas trahira, les apôtres fuiront, Pierre reniera, elles suivront à travers les rues de Jérusalem l'interminable chemin de la Croix. Elles oseront aller jusqu'au Calvaire où les gardes d'abord les maintiendront à distance. Le coeur torturé, elles assisteront à l'agonie et à la mort. Puis, attendan que Joseph d'Arimathie, aidé de Jean, détache le corps du crucifié, elles assisteront à sa sépulture.
    Le sabbat passé, l'interdit levé, elles s'en iront, à l'aube du dimanche, acheter des urnes remplies d'arolates et reprendront le chemin du sépulcre. Etonnées de voir déplacée l'énorme pierre qui fernait l'entrée du tombeau elles entreront mais ne trouveront pas le corps de Jésus.
Elles ne savaient qu'en penser quand deux hommes leur apparurent en habits éblouissants. Saisies d'effroi, elles les entendirent leur dire: "Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant? Il n'est pas ici: il est ressuscité." A leur retour du tombeau, elles rapportèrent tout cela aux onze apôtres et aux autres. Quand Jésus apparaît à ses fidèles, elles sont là comme elles seront au Mont des Oliviers le jour de l'Ascension et au Cénacle en cette Pentecôte où l'Esprit aint donnera naissance à l'Eglise. Dès los, cette Eglise s'établira rapidement à Jérusalem et rayonnera dans les pays voisins jusqu'au jour de l'an 42 où la persécution s'abattra sur la communauté des croyants, à l'instigation d'Hérode Agrippe.
     Pour les mêmes raisons à la fois politiques et religieuses qui avaient fait condamner Jésus, on voua ses disciples au supplice.
     Salomé au mois de mars de cette même année, connaître son nouveau chemin de croix. Elle, qui avait accompgné Jésus au calvaire, assistera, le coeur transpercé, au supplice de son fils. Jacques le Majeur fut décapité en public, pour crime de fidélité.
     Quelques jours plus tard, le petit groupe des familiers de Bethanie: Lazare, avec sa soeur Marthe, son ami Maximin, leur servante Marcelle, et Marie-Madeleine, Marie-Jacobé, Marie-Salomé, Sidoine, l'aveugle de Jéricho, Parmenas, un des sept diacres, Joseph d'Arimathie et quelques autres dont l'histoire n'a pas gardé le nom, étaient escortés jusqu'au port de Joppé (Jaffa) pour y être embarqués. Sur un bateau sans voile ni rame, comme dit la tradition provençale? ou selon la coutune de l'époque, sur un navire de lignes régulières, en donnant aux marins la mission de les déposer sur quelque lointain rivage d'où ils ne puissent revenir? qu'importe!
     La conséquence de ce voyage forcé est que les exilés de Palestine abordèrent un jour en ce delta. L'embouchure du Rhône ouvrait la voie à la Gaule intérieure, servant de point de ralliement à tous lesnavires marchands, d'escale aux voyageurs et de comptoirs aux ommerçants. Là, s'élevait l'oppidum Râ, du nom que les Egyptiens, donnaient au dieu du soleil, père de tous les dieux. A l'oppidum, s'étaient établis de nombreux étrangers, dont une colonie juive. C'est probablement vers leurs compatriotes que Marie-Jacobé et Marie-Salomé se dirigèrent en premier lieu et auprès d'eux qu'elles reçurent l'hospitalité de rigueur parmi les Israëlites de la Diaspora.
     Quant à SARA, la légende chrétienne nous la présente comme l'humble servante, la familière, qui pleure sur la grève le départ de ses maîtresses Jacobé et Salomé, que la fureur des Juifs a jetées avec d'autres dans cette "barque sans rame ni voile". Révoltée, elle veut partager le sort des condamnées, quel qu'il soit. Alors, Salomé lui jette son manteau sur lequel elle marche à travers les flots et vient prendre place auprès de ses amies.
     Tout autre est le récit de la tradition camarguaise. Pas plus qu'elle n'est servante, Sara n'est du voyage.
     Comme la tige de lotus sacré, Sara, issue de race noble, monte des profondeurs mystérieuses s'épanouir au soleil. Reine autochtone de sa tribu, elle campe dans les forêts de pins parasols qui ombragent le territoire. Sylves et marécages, boeufs et chevaux sauvages font de ce pays une source d'abondance incomparable. Longtemps avant le Christ, cette population nomade avait en Camargue son port d'attache, sa vie, son temple. Sara ne serait-elle pas une de ses prêtresses? A l'arrivée des Saintes Sara les accueillit, se convertit à leur prédication et reçu le baptême ainsi que sa tribu.
     Selon d'autres versions, il s'agirait de Sara l'Egyptienne, abbesse d'un grand couvent de Lybie et fêtée par l'Eglise le 13 juillet. Ou bien encore, d'une Sara qui figurait dans un groupe de martyrs persans avec deux Maries et une Marthe et dont les reliques seraient parvenues jusqu'en Gaule.
     Enfin, la lettre apocryphe des Apôtres remontant incontestablement au II° siècle, nous présente une Sara découvrant, avec Marthe et Marie le tombeau vide et partant annoncer aux apôtres la Résurrection du Christ.
     La première version de Sara se trouve dans un texte de Vincent Philippon, baïle (ou préposé) du viguier du comté de Provence, rédigé vers 1521: "La légende des Saintes Maries" et dont le manuscrit est à la bibliothèque d'Arles. On l'y voit quêtant à travers la Camargue pour subvenir aux besoins de la petite communauté chrétienne.
     En vérité, nul ne sait qui est Sainte Sara, ni comment son culte s'instaura aux Saintes Maries de la Mer. Ce qui est certain, c'est que la dévotion à Sara commença dans cette église bien avant que les Gitans la fassent leur.

     Quelles que soient les réserves que l'on puisse émettre à l'égard de ces récits qui, par ailleurs, ne manquent pas de poésie, il reste un fait incontestable: la Provence avait des communautés chrétiennes avant la fin du Ier siècle. Il fallait bien qu'elles eussent des fondateurs. C'était d'ailleurs le désir des églises primitives: se relier aux saints qui avaient connu le Seigneur Jésus pour affirmer leur authenticité. La légende, ici comme ailleurs, n'est peut-être après tout, que la "parure de fête de l'Histoire".

UN PEU D'HISTOIRE
CHRONOLOGIE

Date

Référence historique

1448

Invention des reliques des Saintes Maries

1512

Création de la confrérie des Gardians à Arles

1794

Les Châsses sont brulées par les Révolutionnaires. Une grande partie des reliques ont été sauvées et cachées.

1797

Les documents cachés sont récupérés et placés dans des châsses provisoires

Entre 1848 et 1855

Pèlerinage de Mistral aux Saintes Maries de la Mer. Il mentionne la présence des Bohémiens dans la crypte.

1852

"L’illustration" publie un article sur le pèlerinage des Saintes Maries de la Mer signalant la présence des Bohémiens

1862

Reprise de la procession à la mer. Bénédiction des nouvelles statues des Saintes Maries

1888

Van Gogh peint les roulottes aux Saintes Maries de la Mer

1892

Création de la ligne de chemin de fer Arles-Trinquetailles / Les Saintes Maries de la Mer

1895

Arrêté préfectoral interdisant la présence des Bohémiens aux fêtes des Saintes Maries de la Mer

1898

Création d’un registre des visiteurs pour l’église des Saintes Maries de la Mer. Les Bohémiens reviennent au pèlerinage.

1907

Le député de Savoie : Fernand David veut interdire le rassemblement des Bohémiens au pèlerinage des Saintes Maries de la Mer.

1920

Début de l’épiscopat de Mgr Maurice Rivière jusqu’en 1930

Les Gitans portent la barque des Saintes Maries de la Mer lors de la procession à partir de quelle date ?

Cette pratique devient tradition ……

1921

Une messe réservée aux Gitans est instaurée dans la crypte. Les Gitans participent pour la première fois à la descente des châsses des Saintes Maries.

Mise en place de l’escorte de l’archevêque par les Gardians, de la gare jusqu’à l’église des Saintes, les jours de pèlerinage.

1923

Ouverture des châsses et inventaires des reliques

1925

Mise en place de l’escorte de la barque des Saintes Maries par les Gardians le jour de la procession..

Le guide bleu parle du folklore gitan dans son guide la Provence, … je ne le dirais pas ?

1934

L’archevêque d’Aix Monseigneur Coste, interdit le prêche en provençal et défend aux Bohémiens de porter la statue de Sara lors de la procession du 25 mai

1935

A la demande du Marquis de Baroncelli, Monseigneur Roques accepte que les Gitans portent la statue de Sara en procession jusqu’à la mer le 24 mai. Le clergé ne participe pas à cette procession qui n’est que toléré.

1942

En juillet 1944 : Présence d’un camp d’internement de Gitans à Saliers, proche des Saintes Maries de la Mer

1945

Début de l’épiscopat de Monseigneur de Provenchères

1948

Le nonce apostolique Monseigneur Roncalli préside le pèlerinage pour le XIXème centenaire de l’évangélisation de la Provence et le V° centenaire de la découverte des reliques des Saintes Maries.

Fondation des " Etudes Tsiganes " par le Père Fleury (SJ, François de Vaux de Foletier et Théo Maximoff.

Présence des premières roulottes des Petites Sœurs de Jésus au pèlerinage des Saintes Maries de la Mer.

1951

21 juillet

Retour des cendres du Marquis de Baroncelli, décédé en 1943, d’Avignon aux Saintes Maries de la Mer accompagnées de nombreux gitans.

1953

L’aumônerie prend en charge les gitans venus au pèlerinage. De cette date l’aumônerie introduit, dans la procession de Sara, Notre Dame des Gitans. Les aumôniers tentent de réduire l’importance du culte dédié à Sara en la mettant en concurrence directe dans sa procession avec un autre culte plus orthodoxe.

"L’aumônerie nationale para à cette situation en introduisant dans la procession la statue de Notre Dame des Gitans, bénie par l’archevêque de Lourdes en 1958 et couronné par le pape Paul VI en 1965 et que la plupart des Gitans catholiques considèrent comme leur véritable patronne" (F. Courrier, "Le mystère de Sara la noire", Monde Gitan, n° 2, 1967).

1955

Parution du premier bulletin des Etudes Tsiganes.

1957

Premier pèlerinage Gitan à Lourdes

1963

Monseigneur Colin est nommé évêque accompagnateur des Tsiganes en France. Création de la Roulotte, journal lié à l’aumônerie nationale.

 

1965

Pèlerinage des Gitans à Rome auprès du Pape Paul VI. Les Gitans sont qualifiés de " sel de la terre ".

1966

L’aumônerie tente de remplacer la procession de Sara par un chemin de Croix, mais à la suite d’incidents violents, le clergé décide pour la première fois d’y participer.

1967

Certains Gitans veulent enlever Sara des Saintes Maries de la Mer. L’archevêque d’Aix Monseigneur de Provenchères déclare : "Le culte de Sara est immémorial, c’est pourquoi je le maintiens sous sa forme traditionnelle ». –c .f. Le Mémoire de Sophie Bergaglio (Université de Provence- année 1997-1998) "L’invention d’une Tradition : Evolution du pèlerinage des Saintes Maries de la Mer de 1852 à 1967 .)

Note complémentaire

En 1966, l’aumônerie décide de remplacer la procession de Sara par un chemin de croix à travers le village. Mal compris ou mal expliqué, l’émeute gronde, les rumeurs les plus folles courent alors. On peut lire en titre du Provençal du 26 mai 1966. "La procession des Saintes a failli ne pas avoir lieu : on voulait transférer Sara à Lourdes".( Pierre Roumel, Au pèlerinage 1966 des Saintes Maries de la Mer, journal Le Provençal).

En 1966, excédée par la procession de Sara, l’aumônerie décide ou de l’éliminer ou de la remplacer par un chemin de croix. L’aumônier national, l’abbé Barthélemy a l’initiative de cette action : "J’ai donc sollicité et obtenu une réunion à l’archevêché d’Aix au cours de l’hiver. Nous étions, autour du vicaire général et du curé des Saintes Maries de la Mer, une douzaine de responsables de l’apostolat gitan. J’avais distribué à chacun un papier exprimant mes doléances et ma requête. Il ne fallut pas moins de la journée pour aboutir à une solution qui ne supprimait la procession à la mer qu’en la remplaçant par une sorte de chemin de croix à quatre stations" (Abbé André Barthélemy, op. cit. 1982).

La volonté de rendre cette procession plus orthodoxe est retenue. L’archevêque d’Aix, Monseigneur de Provenchères, Monseigneur Colin évêque de Dignes, les aumôniers en aubes, le clergé sont appelés pour montrer le sérieux du chemin de croix. Mais en définitive, au nom de la tradition "baroncellienne", les Gardians menés par le beau-fils de Baroncelli, M. Aubanel, refusant d’arrêter la procession aux stations de la ville, et continuent le trajet "traditionnel" de la procession jusqu’à la plage.

Après cette expérience ratée contre Sara, l’archevêque d’Aix, Monseigneur de Provenchères, se range définitivement du côté des Gitans. Il intervient personnellement en donnant une conférence de presse en 1967 pour montrer sa conviction envers le culte de Sara. (J.P. Bertaigne,, journal Le Provençal, 25 mai).

Sa déclaration reconnaît officiellement l’ancienneté de Sara et donc la valeur et la validité de son culte : "Le culte de Sainte Sara est un culte immémorial. C’est pourquoi je le maintiens sous sa forme traditionnelle. Comme beaucoup d’autres Saints, il n’est pas possible de donner des précisions vraiment historiques sur le personnage de Sainte Sara. Mais c’est aux historiens et non à l’évêque d’approfondir ce problème".(F. Courrier, op. cit, Monde Gitan 1967).

1970

Durant cette décennie, sous l’impulsion du Père René Bernard (SJ) aumônier régional puis aumônier national, se structure d’une année à l’autre l’équipe de l’aumônerie pour un meilleur service du pèlerinage gitan.

Rachails et religieuses arrivaient deux ou trois jours avant le pèlerinage du 24-25 mai. Ils furent invités à venir toute une semaine avant les fêtes pour mener une action pastorale concertée.

1988

L’aumônerie décide une mission préparatoire au pèlerinage à partir du 19 mai. Cette initiative donne un nouvel élan aux veillées de prières jusque là peu suivies par les Voyageurs, à part la veillée du 23 mai instituée par Yoska (Abbé André Barthélemy) vers 1960. Les thèmes de célébrations renouvelés, mieux adaptés aux désirs des Voyageurs dans leur présentation et leur déroulement contribuent à une participation de plus en plus importante.

1993

Messe d’ouverture du pèlerinage le 24 mai. A l’origine il s’agissait d’une messe pour "gadgé" qui venaient au pèlerinage à laquelle se joignaient quelques gitans. Compte tenu de la participation plus des Voyageurs qu’ils accompagnent. Au fil des années cette messe deviendra officiellement la messe du pèlerinage gitan telle que nous la connaissons aujourd’hui.

 

 

A SUIVRE...